Accompagner les patients atteints d'une Démence de Type Alzheimer (DTA) au stade léger avec Commemoria

Avant-propos

Cet article s’est très largement inspiré (avec l’accord de son auteure) du travail de fin d’études « Réalisation d’un travail de réciniscence avec deux patients atteints d’une DTA au stade léger, au moyen d’une tablette tactile. » réalisé par Camille Croenne en vue de l’obtention du grade de bachelier en logopédie à l’Institut Libre Marie Haps à Bruxelles, lors de l’année académique 2015 -2016. Un des objectifs de ce mémoire était de « créer » un outil thérapeutique pour le maintien des compétences des patients atteints de Démence de Type Alzheimer au stade léger (DTA).

Un autre travail de fin d’études intitulé « Recueil du récit de vie auprès de la personne âgée en maison de repos en vue d’élaborer une ligne du temps multimédia, transmissible aux proches. » et réalisé par Camille Trine en vue de l’obtention du titre de Bachelier en ergothérapie lors de l’année académique 2013-2014 à La Haute Ecole Condorcet de Tournai a aussi servi de support (avec l’accord de son auteure) à la rédaction de cet article.

L'intégralité du texte de ces deux mémoires peuvent être obtenus sous format électronique sur simple demande.

Accompagner les patients atteints de DTA au stade léger avec Commemoria.

En général, la personne âgée aime à se raconter. Elle aime revenir sur son parcours de vie, ses souvenirs les partager, les transmettre et surtout ne pas oublier qui elle est.

La Ligne du temps multimédia Commemoria est un outil qui permet la transmission d’un maximum d’informations organisées chronologiquement, en utilisant des canaux visuels, auditifs et verbaux grâce à l’exploitation de documents en tout genre : vidéos, photographies, musique etc. Son objectif est de permettre le partage de chronologies et d’événements biographiques concernant des personnes qui souhaitent laisser une trace ou raconter l’histoire de leur existence. Commemoria peut également servir à accompagner une fin de vie, organiser des funérailles ou encore aider les proches dans leur travail de deuil. La mission de Commemoria est donc en premier lieu d'assister les personnes âgées à transmettre ce qu’elles souhaitent aux générations futures à l'aide d'une technologie innovante.

Avec Commemoria, l’histoire de la vie est organisée sous forme d’un récit de vie chronologique et multimédia que les membres de la famille pourront parcourir, et enrichir comme ils le souhaitent en ajoutant leur propre témoignage et leur propre documentation.

Ce récit de vie pourra ensuite être transmis et conservé sous différentes formes et sur différents supports.

La maladie d'Alzheimer

La maladie d'Alzheimer est la plus fréquente des démences. C'est une maladie dégénérative du cerveau dans laquelle l'altération et la disparition des neurones concernent progressivement l'ensemble des régions cérébrales impliquées dans les fonctions intellectuelles et comportementales (1).

Le DSM-V définit la maladie d’Alzheimer comme « une progression graduelle d’une altération dans un ou plusieurs domaines cognitifs. » et dont l’évolution implique un « déclin constant, progressif et graduel des fonctions cognitives sans plateaux prolongés.» (2).

Les lésions atteignent les différents lobes du cerveau et impactent notamment: la mémoire, le langage, le comportement, l'humeur, la personnalité, l'attention, le jugement, le raisonnement, l'orientation spatiale et temporelle, etc. Cette maladie impacte donc fortement la vie professionnelle, sociale et familiale de la personne qui en souffre (3).

Une maladie en constante évolution

En 2006, la maladie d'Alzheimer touchait, en Belgique, près de 9,3% des 65 ans et plus, 26,4% des 85 ans et plus et 34,8% des 90 ans et plus. (Etude Qualidem (Université de Liège et KU Leuven). En 2030, nous devrions compter 251 000 cas et jusque 350 000 en 2050 (chez les 65 ans et plus). Selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), dans le monde, cette maladie devrait toucher 115,4 millions de personnes d'ici 2050.En raison de l'augmentation de l'espérance de vie, cette maladie est actuellement considérée comme un problème majeur de santé publique.

Les troubles de la mémoire dans la Maladie d’Alzheimer

Les premières régions touchées sont celles qui permettent la mémorisation des informations nouvelles, ce qui explique que « la maladie débute par des plaintes et des troubles de la mémoire » (1). Au début, l'atteinte mnésique est souvent proche de ce qui est observé dans le vieillissement normal mais cette atteinte va progressivement s'étendre pour toucher toutes les composantes de la mémoire.

Les composantes de la mémoire.

Il existe plusieurs composantes de la mémoire: la mémoire à court terme, la mémoire de travail, la mémoire sensorielle, la mémoire à long terme, la mémoire explicite, la mémoire épisodique, la mémoire sémantique, la mémoire implicite, la mémoire procédurale, la mémoire perceptive et la mémoire autobiographique. (4)

« Il est important de s’appuyer sur l’utilisation et la stimulation de la mémoire autobiographique avec les patients DTA » (5)
La mémoire autobiographique est particulièrement intéressante et utile  dans les cas de DTA car elle n’est altérée qu’à un stade avancé de la maladie. <br />La mémoire autobiographique est celle qui permet à une personne de se souvenir de ses épisodes de vie, « elle rassemble les expériences vécues et forme l'essence de l'identité personnelle. Cette mémoire est multiple, composée de connaissances intemporelles et de souvenirs datés. » (6).

Le récit de vie

De plus en plus de personnes aspirent au rassemblement et à l'écriture de leurs souvenirs afin de transmettre ce patrimoine à leurs proches mais également pour laisser une trace indélébile de leur parcours de vie. Le récit de vie « fait appel à la mémoire autobiographique. Il s'agit d'une écriture rétrospective de soi à partir de faits vécus personnellement» (7). Le récit de vie permet de « faire des liens entre le sujet et ceux qui l'entourent, entre le passé et le présent et de resserrer les liens familiaux » (7).

La thérapie de réminiscence

La thérapie de réminiscence est définie comme « le rappel d'événements passés de la vie d'un patient dément » (8) et est fondée sur « l'évocation de souvenirs anciens autobiographiques du sujet, longtemps préservés au cours de la démence » (9). Il s’agit d’une méthode qui explore l'histoire passée du patient en faisant appel à ses souvenirs. En groupe ou individuellement, les participants sont invités à parler de leur vie, avec le soutien matériel de photos, vidéos, musique ou objets signifiants afin que le patient puisse stimuler sa capacité de socialisation et améliorer son estime de soi.

Commemoria: un accompagnement entre récit de vie et réminiscence

La mémoire est fortement touchée dans la Démence de Type Alzheimer (DTA). Pour les personnes qui en souffrent, l’encodage et le stockage de nouvelles informations en mémoire est difficile et leur restitution l’est également. La mémoire se doit de lutter en permanence contre l'oubli. Ce dernier efface progressivement des souvenirs marquants et inestimables pour le patient DTA qu'il aurait probablement aimé transmettre à son entourage.

L'intérêt, pour un patient présentant une DTA, de réaliser un récit de vie serait que celui-ci « a ceci de prodigieux qu'il fixe pour l'éternité les souvenirs.» (10). De plus, il fait appel à la mémoire autobiographique qui est longtemps préservée dans la maladie d’Alzheimer.

Les thérapies de réminiscence sont, quant à elles souvent préconisées dans la prise en charge des troubles cognitifs de la maladie d'Alzheimer, elles permettent au patient atteint d’une maladie d’Alzheimer de continuer à communiquer et constitueraient ainsi « un processus thérapeutique à part entière » (8).

L'intérêt de la réalisation d'un travail se situant entre « récit de vie » et « réminiscence », avec des patients atteints de DTA en début de maladie, est donc pertinent et celui-ci peut tout à fait trouver sa place dans leur prise en charge.

Les émotions générées par le récit de vie et la réminiscence chez un patient atteint de DTA

Un travail entre « récit de vie » et « réminiscence » provoque habituellement de nombreuses émotions chez le patient ainsi que chez les aidants. Mais il est aussi souvent perçu comme très agréable par les partenaires et bien vécu par le patient. La personne démente ressent très souvent du plaisir à se savoir capable de se remémorer des souvenirs passés et ainsi « éprouver des pensées positives (confiance en soi, maîtrise de soi, gaieté) et combattre ses angoisses et son découragement face à ses pertes cognitives » (11). Le thérapeute se doit évidemment de gérer, avec bienveillance, les émotions qui pourront émaner du travail et faire face aux réactions du patient.

Compétences nécessaires au patient atteint de DTA pour la réalisation d'un travail de récit de vie avec Commemoria

« Pour réaliser un récit de vie, il faut d’abord faire revenir à la conscience la matière première, à savoir ses souvenirs, puis les agencer pour donner à sa vie une unité.» (12)

« La réminiscence requiert une capacité d’attention soutenue, des capacités verbales suffisantes pour exprimer ses souvenirs et un bon discernement entre présent et passé. » (13)

Pour pouvoir raconter des événements de sa vie, il faut pouvoir s'en souvenir. La mémoire autobiographique doit donc être encore relativement bien préservée pour que la personne puisse accéder à ses souvenirs de vie. Cette mémoire « étant souvent la dernière à se détériorer dans la maladie d'Alzheimer, la réminiscence est un moyen de communication avec les malades, … même à un stade avancé de la maladie. » (6)

Les objectifs de l’accompagnement d'un patient, atteint de DTA avec Commemoria.

La prise en charge du patient atteint d’une maladie d’Alzheimer est généralement pluridisciplinaire et adaptée spécifiquement à chaque patient. L’Accompagnement avec Commemoria aide à la prévention des troubles de la communication du patient atteint de la maladie d'Alzheimer et vise préserver, le plus longtemps possible, ses compétences concernant le langage oral et écrit.

La réalisation du récit de vie va consister à faire utiliser au malade toutes ses compétences communicationnelles préservées, pour qu'elles demeurent fonctionnelles le plus longtemps possible. Pour cela, il va être important que l’accompagnant qui utilise Commemoria s'informe auprès des proches du patient concernant son vécu (tant personnel que professionnel) mais également sur ses intérêts et ses passions afin d'aborder des thématiques appréciables pour le patient.

Place et rôle des aidants dans l'accompagnement d'un patient atteint de DTA dans sa vie quotidienne

« La maladie d'Alzheimer bouleverse deux vies, celle du patient et celle de l'aidant principal. D'une certaine façon, l'aidant principal est le centre de la prise en charge. » (1)

La vie quotidienne avec un patient Alzheimer peut être très difficile à vivre pour l'entourage et les aidants. Généralement, il y a un aidant principal aux côtés du patient (conjoint, parent, ami, voisin, etc.). Cet aidant est alors soumis à une grande responsabilité qui est celle de prendre en charge la personne atteinte de la maladie d'Alzheimer. Les aidants et l'entourage ont donc une place très importante dans la prise en charge de leur proche malade et y jouent un rôle essentiel.

Le rôle de l’accompagnant d'un patient atteint de DTA lors de la réalisation d'un travail entre « récit de vie » et « réminiscence » avec Commemoria

« L’accompagnant se doit d'être à l'écoute et d'être disponible pour le patient, de faire preuve d'empathie, de ne pas être dans le jugement, d'être capable de faire face et de gérer les émotions pénibles qui pourraient surgir, etc. » (11)

Le travail avec l’application Commemoria joue un rôle important dans l'accompagnement des aidants du patient. En effet, « la prise en charge de la maladie d'Alzheimer est double, elle s'adresse tant au patient qu'à son entourage qui subit de plein fouet les lourdes conséquences de la maladie. » (1)

Cette maladie peut provoquer un réel bouleversement de l'équilibre familial car le patient Alzheimer perd progressivement en autonomie, ce qui contraint son entourage à investir énormément d'énergie dans l'accompagnement de leur proche malade.

Cet accompagnement est une épreuve qui peut s'avérer très difficile à vivre et à supporter pour les aidants. Ces derniers font tout leur possible pour améliorer et faciliter la vie du patient mais ceci peut avoir de lourdes conséquences chez eux : dépression, stress, angoisse, fatigue, colère envers le patient, culpabilité envers eux-mêmes, souffrance psychologique, etc. Tout ceci peut donc avoir un impact sur la qualité de la prise en charge de la personne Alzheimer par son entourage. (1)

Le rôle « écosystémique » de Commemoria: un rôle d'aidant pour les aidants et pour le personnel soignant

Il est essentiel de soutenir ainsi que d'accompagner la famille dans l'acceptation de la maladie et des troubles qui y sont associés. C'est ce que l’on appelle la « thérapie écosystémique ». Elle consiste en la prise en charge du patient dans son milieu de vie mais également « dans le système dans lequel il évolue » (8).

L'objectif est « de permettre à l'entourage du patient de faire face aux souffrances psychoaffectives, aux modifications de rapports affectifs, aux difficultés de communication, ainsi qu'à la gestion des troubles du comportement, l'épuisement familial, la difficile décision de placement. » (6).

La collaboration avec l’entourage du patient atteint de DTA lors la réalisation d’un travail entre « récit de vie » et « réminiscence ».

« Toutes les personnes qui gravitent autour du patient restent les dépositaires de sa mémoire en perdition. Elles représentent ses repères et font partie de son histoire. » (13)

Pour la réalisation de ce travail de récit de vie et de réminiscence, la collaboration de l'entourage proche du patient est indispensable pour récolter du matériel relatif au passé de ce dernier. Les photographies constituent « un support précieux pour la résurgence des souvenirs » (14) et « s'avèrent très utiles pour reconstituer les événements clé dans l'histoire de vie d'une personne.». (11)

La thérapie de réminiscence nécessite « le soutien matériel de photos, vidéos, musique ou objets signifiants » (6). De plus, « la recherche de photos donne la possibilité d'impliquer les familles qui ont souvent la pénible impression d'être exclues, alors qu'elles ont un rôle important à jouer auprès de leur proche et des intervenants. » (11).

Les aidants jouent donc un rôle important dans la collaboration avec les professionnels de santé. Ils pourront, par exemple, leur permettre de les renseigner sur la vie passée du patient avec davantage de détails que les informations qui peuvent figurer dans leur dossier (dans le cas où le patient est en maison de repos) (11).

Enfin, il semble important que l’aidant puisse participer à certaines séances de réminiscence. Cela peut lui permettre d'apprendre davantage sur le passé de la personne Alzheimer dont elle s'occupe ainsi que de comprendre davantage ses comportements et ses sentiments. Cela peut également permettre aux aidants de dépasser les difficultés de communication qu'ils rencontrent avec le proche malade et de pouvoir de nouveau communiquer (11).

Intérêts et impacts du travail avec Commemoria sur un patient atteint de DTA et son entourage

La réalisation d'un travail entre « récit de vie » et « réminiscence » peut avoir effets bénéfiques tant chez le patient que chez son entourage.

Les motivations à l'écriture d'un récit de vie sont de pouvoir : transmettre et partager, de ne pas être oublié (en laissant une trace de soi à ses proches), de réparer l'égo (en exprimant une souffrance ou en clarifiant le passé pour s'en libérer) et enfin de comprendre (en faisant un bilan de son vécu et en cherchant du sens à sa vie). (12)

Le travail d'élaboration d'un récit de vie a pour objectifs de :

  1. Favoriser la communication
  2. Dans le cadre d'une démence de type Alzheimer, les patients sont souvent sujets à une dépression mais aussi à une certaine indifférence de ce qui les entoure. Leur permettre de parler de leur passé et de partager leurs souvenirs peut leur donner la possibilité de s'ouvrir de nouveau à l'autre et de reprendre goût à la communication. Ces patients ont généralement besoin de se sentir en confiance et de se sentir écoutées. Cela les rend « importantes » aux yeux d’autres personnes et elles se sentent à nouveau utiles pour l’autre.

  3. Créer des moments de partage entre l'entourage et le patient et resserrer les liens familiaux
  4. En effet, « le début d'une démence peut conduire les personnes qui en sont atteintes et leurs aidants à distendre leurs liens sociaux » (11). Ce travail peut alors permettre au patient de transmettre son passé à ses proches afin de partager des souvenirs et des expériences. Le fait de réaliser ce travail à l'écrit et donc d'en faire un carnet de vie permet au patient de laisser une trace « concrète » de ses expériences de vie. Cela peut aussi permettre au patient de faire un bilan de son vécu et ainsi se préparer à la fin de sa vie. Les proches et le patient pourront ainsi échanger sur leurs souvenirs communs, leurs anecdotes, etc. (7).

  5. Stimuler les fonctions cognitives et langagières
  6. Ce travail permet aussi de stimuler les fonctions cognitives telles que la mémoire par exemple (la mémoire autobiographique étant celle qui est la plus stimulée dans ce travail de récit de vie). Le langage oral et écrit est également fortement stimulé. Le patient doit organiser sa pensée tout en se remémorant les souvenirs qui surgissent de cette photographie pour ensuite raconter. Le langage écrit, lui, est stimulé lors de l’écriture du récit de vie. (7)

Les intérêts de la réminiscence

« L'activité de réminiscence … de la personne démente permet de faciliter la communication au quotidien et de stimuler la mémoire. » (11)

Le travail de réminiscence, permet de relier le passé au présent, favorise la sociabilité, réduit la distance entre soignants et soignés, préserve l'héritage culturel, tire bénéfice de la relation, renforce l'estime de soi et l'identité, favorise une relecture positive de la vie passée, change la perception qu'ont les gens les uns des autres, accroît le discernement, procure une activité agréable. (13)

La réminiscence améliore aussi la qualité de vie des personnes démentes mais également l'évolution de leurs relations familiales et sociales. La réminiscence a aussi pour but de lutter contre les angoisses et le découragement que peuvent ressentir les patients, conscients de leurs difficultés. (11)

Conclusions

Intérêts pour le patient: valorisation de soi, sentiment d'être écouté, possibilité de partager et de transmettre son passé, ses expériences de vie et son vécu à ses proches ainsi qu'au personnel soignant.

Intérêts pour l'entourage : créer ou resserrer les liens familiaux, pouvoir partager des souvenirs communs, pouvoir apprendre du vécu et des expériences de vie du patient, pouvoir être présent pour le patient.