Les valeurs laïques, une voie pour aider les personnes endeuillées

En tant que déléguée laïque aux cérémonies à Bruxelles Laïque, mon travail consiste à accompagner les personnes laïques qui souhaitent célébrer les rites de passage tel que la naissance, le mariage ou la mort. Ces cérémonies et rituels qui font partie de notre quotidien et la manière dont ils nourrissent notre spiritualité sont importants. Personnellement, le domaine qui m’intéresse le plus est celui des cérémonies funèbres. Les autres touchent des événements, en principe, heureux alors que la mort d’un proche nous laisse, bien souvent, désemparé, démuni et donc heureux de recevoir un soutien dans ces circonstances. A travers, cet article, je souhaite vous faire part du résultat d’une expérience acquise sur le terrain, lors des rencontres avec les familles endeuillées et mon objectif est de vous montrer ce qui caractérise la méthode mise en place pour créer le rituel avec les familles, les proches du mort. C’est cette méthode qui est, avant tout, laïque et mon fil conducteur sera donc la mise en pratique de ces valeurs laïques.

La spécificité des cérémonies laïques réside dans la manière de n’imposer aucun rituel prédéterminé sinon d’accompagner les personnes dans l’élaboration de leur propre rituel. Cette formule nécessite la mise en pratique de valeurs laïques telles que l’ouverture à l’autre, le respect de l’autre et de sa différence, la bienveillance, le sens de l’écoute. Quel que soit le type de cérémonie, les principes sont toujours les mêmes : 
la famille est au centre de celle-ci et notre rôle est de l’aider à ce que la cérémonie corresponde au mieux à ses attentes et/ou aux attentes de la personne décédée. Nous allons donc créer ensemble, un espace de rencontre en dehors de toute considération religieuse, où chacun(e) aura sa place, son mot à dire, pourra, à sa manière, exprimer ce qu’il/elle souhaite et où chacun(e) fera l’effort de respecter l’autre, de l’entendre et de lui apporter son soutien, s’il/si elle le peut. Une règle prévaudra : le respect de l’autre dans sa différence, ses limites et ses convictions : tout peut être dit, mais il y a la façon de le dire. Voilà comme je pourrais expliquer, lors de ma première rencontre avec les familles endeuillées, sur quoi se construit une cérémonie funèbre laïque. Une formule, bien entendu, adaptée à chaque circonstance, car comme vous pouvez l’imaginer, rien n’est jamais pareil, il faut chaque fois trouver les mots les plus justes possibles pour accompagner les proches du défunt.

Le temps qui m’est imparti pour réaliser la cérémonie funèbre est généralement court : deux à trois jours, parfois un peu plus. Il faut donc prendre rapidement contact avec la famille à qui j’explique déjà par téléphone le déroulement « classique » d’une cérémonie. Cela permet à la famille d’y réfléchir et d’en discuter avant mon arrivée. La plupart du temps, les cérémonies ont lieu au crématorium ou dans un funérarium. Il y a peu d’inhumations et bien souvent, alors, la cérémonie qui précède l’inhumation, se passe également dans un funérarium. Mais, parfois, c’est au cimetière, devant le trou fraîchement creusé... Lors d'une rencontre, nous sommes tous réunis autour d’une table. On me propose une petite tasse de café, des petits gâteaux parfois (pas trop souvent s’il vous plait !). Ce sont les formes dont je vous parlais tout à l’heure. J’invite à la disponibilité, à la concentration, nous fermons nos GSM. Doucement, je lance quelques questions et puis laisse parler. Tout le monde en a besoin. Je note ce qui me semble important. Surtout, ne pas juger, ne pas être intrusif et respecter les silences. Il convient d'écouter ce que chacun souhaite dire, comme il le peut, avec ses mots, ses limites. Lentement, un lien se crée entre nous. La confiance, la complicité, la confidence s’installent, les barrières tombent, les masques aussi. Le temps est suspendu. Le chagrin, le choc, la colère, tout est là. J’ai un atout : je ne fais pas partie de leur monde et après la cérémonie, je disparaîtrai de leur vie... Aussi, des tas de choses se disent, les souvenirs s’échangent. Je reste en retrait, donnant à chacun la parole, repérant celui/celle qui ne dit rien, qui écoute les autres. Je l’invite à parler mais il/elle n’a rien à dire ou plutôt si, mais c’est difficile à exprimer et dans ce cas, je donne le coup de pouce, j’encourage, j’autorise, et, de temps en temps, j’aide à formuler. Les questions fusent telle que « avons-nous le droit de … ? » &bsp;,  « Est-ce que je peux dire, écrire … ? »  ,  « Puis-je mettre tel morceau de musique ? Ils l’aimaient tant. Mais la flûte enchantée, Johnny Hallyday ou Bob Marley ce n’est peut-être pas assez sérieux ? »  ,  « Cela me rappelle … ». Les souvenirs remontent à la surface. A ce moment, le silence est pesant. Ecoute attentive et disponibilité sont les maîtres mots. Chacun est dans sa solitude, dans sa tristesse.

Ces moments de dialogue permettent aussi de déceler des conflits entre personnes et cela peut peut éviter des problèmes le jour de la cérémonie comme, par exemple, le frère suisse inconnu qui apparaît. Il ne faut pas prendre parti mais toujours essayer de trouver la médiane qui mettra tout le monde d’accord : toujours essayer de rassembler ce qui est épars. Après ce tour de table où chacun(e) a pu s’exprimer, j’explique comment se déroule généralement la cérémonie. Je rassure les personnes qui sont mal à l’aise à l’idée de devoir prendre la parole lors de la cérémonie. Chacun aura la possibilité d’apporter une idée nouvelle jusqu’au dernier moment. La discussion reprend et je passe de l’un(e) à l’autre, l’esprit en éveil. Progressivement, je rassemble les informations et j’ouvre des portes où les personnes s’engouffrent, rassurées. Même la colère est autorisée ! Tout peut se dire même si nous ne pensons pas de la même manière.Chacun trouve sa place et chacun prend sa place. Ca y est, ils se lancent : l’un va écrire un texte, l’autre va se faire aider par le 3ème. Je lirai le texte pour une telle car si elle peut écrire, le dire, c’est autre chose, l’émotion étant là… Nous trouvons ensemble les solutions. Et les enfants ? J’encourage leur présence. Ils ont aussi le droit être là, de savoir pourquoi tout le monde est triste, d’être triste eux-mêmes. L’un fera un dessin, l’autre jouera un morceau de musique tel que Ne me quitte pas de Jacques Brel.

Vient ensuite le moment de s'interroger sur le déroulement de la cérémonie au crématorium : le cercueil, doit-il partir ou rester ? Chacun y va de son expérience : certains ne veulent pas voir les flammes, d'autres veulent toucher le cercueil ou y déposer des pétales de fleurs. Il faut se mettre d’accord, trouver un compromis. Tout est possible. Finalement, je fais la synthèse des propositions : la durée de la cérémonie, le nombre de musiques, de discours. J’introduirai et clôturerai la cérémonie. Si l’un d’entre eux craque, je reprendrai, au pied levé, le discours. Je propose de réaliser un canevas de la cérémonie avec toutes les informations reçues, canevas qui sera toujours soumis à leur approbation et leur rappelle que je suis disponible, qu’il ne faut pas hésiter à m’appeler. Pour un moment, je fais presque partie de la famille. Je m’en vais.

Jusqu’au matin même de la cérémonie, tout peut changer. Il est important de garder une certaine souplesse, de dédramatiser, d’apaiser. La cérémonie funèbre laïque prend forme et devient à l’image de ceux qui l’ont faite. J’ai utilisé leurs mots et ils vont pouvoir se reconnaître dans celle-ci. Cette cérémonie est unique et elle est la leur : la famille s’est appropriée la cérémonie et donne son accord pour le contenu du canevas. Le jour de la cérémonie, la famille pourra alors la vivre sans être dérangée par des détails pratiques. C’est moi qui m’en charge. Tout est sous contrôle et les proches se sentent soutenus.

La cérémonie peut commencer mais il faut toujours être en éveil et être prête à faire face aux imprévus : être bien là, en retrait, mais néanmois bien ancrée dans la réalité, le plus discrètement possible. Ce n’est pas ma cérémonie mais celle de la famille et celle-ci doit sentir ma présence à ses côtés. Les proches entrent les premiers. La musique accompagne l’émotion. Ils ont choisi tel morceau parce qu’il leur rappelle un moment, une joie, un événement vécu avec le défunt. Je dresse le portrait du mort à partir d’éléments qui m’ont été confiés sur lui et passe ensuite la parole. L’émotion est grande, je pose ma main sur l’épaule de celui/celle qui parle. Il/elle se calme et reprend son texte. Ouf, c’est fait. Il/elle va s’asseoir, se détend. Petite musique d’interlude, histoire de s’imprégner de ce qui vient d’être dit. Au suivant, … La cérémonie est parsémée de minutes de recueillement musical et le(s) morceau(x) choisi(s) rassemble(nt) à nouveau. Ils se souviennent. Ils sont tous si proches les uns des autres. Au moment du départ du cercueil, tout le monde se lève. C'est un moment intense d’émotion. Vont-ils tenir ? La solidarité est là, chacun soutien son voisin comme il peut. L’intensité de l’instant est perceptible. Tous vont devoir continuer à vivre, endeuillés. Les portes se referment sur le cercueil, tous sont là, face à leurs émotions. Si le cercueil reste dans la salle, les personnes vont rendre un dernier hommage au défunt en venant s’incliner devant le cercueil ou en y déposant des pétales de roses (c’est si doux, si frais en ce moment douloureux…) puis sortent de la salle. La salle du crématorium va alors retrouver son côté impersonnel, froid. L’entrepreneur des pompes funèbres invite les proches à recevoir les condoléances. Tout le monde suit. Chacun retrouve, s’il le peut, une contenance, une façade. Je ferme la marche et salue, après tout le monde, la famille. Ils m’embrassent et sont heureux malgré leur tristesse car ils ont pu vivre un moment marqué d’une pierre blanche dans leur vie. Ce passage obligé, ils l’ont parcouru ensemble. Peut-être cette cérémonie leur aura permis de se rapprocher, de rencontrer l’autre, d’être bien ensemble ?

Ma mission s’arrête là. Je ne les reverrai plus. Si quelqu’un reprend contact avec moi, j’écouterai et, si nécessaire, aiguillerai vers des professionnels de l’écoute: chacun son métier. Là encore, je dois rester professionnelle : ne pas porter leur deuil, ne pas les porter, ne pas rentrer dans l’intimité de la famille, ne pas s’investir plus qu’il ne faut; en d'autres termes, être empathique et non sympathique. Ce travail est avant tout un travail de relations humaines où chaque officiant amène son expérience de vie et ses acquis professionnels. Une bonne santé mentale, une formation à l’écoute ciblée dans le domaine de la mort, une bonne connaissance de ses limites, une remise en question de soi, une évaluation régulière de son travail ainsi qu’une supervision sont les garants de la qualité de ce travail. Faut-il avoir perdu un proche pour comprendre la douleur d’une personne endeuillée ? Je ne le crois pas mais une réflexion sur la mort en général et plus particulièrement sur sa propre mort s’impose.

Le temps que je peux consacrer aux personnes n’est pas compté, il n’est pas lié à une notion de rentabilité financière. Je suis rémunérée par l'Etat pour donner mon temps aux personnes endeuillées. Je le prends et le mets à la disposition des gens aussi longtemps que nécessaire. La réalisation de la cérémonie est gratuite. Il s’agit d’une aide de la laïcité à la population. Je l’explique également à la famille qui s’en étonne en me disant que « C’est tellement rare, le curé lui... Peu importe. Une part de vos impôts sert à nous donner des subsides du Ministère de la Justice. Ce service est donc un juste retour vers vous... » J’essaie de pratiquer l’empathie, la tâche n’est pas aisée, mais chaque fois, la rencontre éphémère avec ces humains participe à me faire grandir. Mon regard sur le monde en est enrichi. Avant de conclure, je voudrais simplement vous faire part d'une lettre de remerciement que j’ai reçue:

Chère Anne-Louise,
Permettez-moi de vous appeler par votre prénom. Je tiens à vous remercier chaleureusement pour le côté professionnel et très humain lors de votre intervention ce mardi 4 avril et tous les jours précédents. J’ai été également très touchée par toute la sensibilité et le raffinement de la gestion des émotions que vous avez pu nous apporter. J’aurai à nouveau appris beaucoup durant ces 6 jours de fébrilité dans la sérénité. C’est en grande partie grâce à vous.
Merci encore de nous avoir canalisés dans le timing. Vous faites votre boulot de manière digne et si délicate et subtile.
Au plaisir de vous revoir

Agnès

En conclusion, quels sont les éléments dans ce travail qui permettent de dire qu’il s’agit de cérémonies funèbres laïques ? Nous respectons le contenu des textes, le choix des musiques choisis par les personnes. Nous les accompagnons, nous les guidons dans un moment difficile afin qu’ils soient au centre de la cérémonie qu’ils créent eux-mêmes. Les personnes apportent donc, elles-mêmes, tous les éléments de la cérémonie funèbre qui sont porteurs de leurs émotions. Ainsi, elles peuvent vraiment se les approprier. Chaque homme, chaque femme aura pu s’exprimer en toute liberté, sans jugement, en respectant les différences entre tous, avec bienveillance et avec respect. La famille sera fidèle à la mémoire de la personne défunte. Ce qui n’empêchera pas, chaque individu, de s’ouvrir aux autres, d’exprimer son ressenti et d’être responsable du discours qu’il écrira. Ce discours lui permettra, peut-être, de prendre conscience qu’il faudra de toute façon aborder ce deuil et tenter de le faire participer à sa propre construction.

Textes pour le décès d'une arrière-grand-mère et grand-mère

Video

Retrouvez l'intervention d’Anne-Louise Van Nieuwenhuijsen, déléguée laïque aux cérémonies à Bruxelles Laïque, enregistrée lors du colloque "Le deuil, mémoire vivante" organisé par l'ASBL Picardie Laïque et Commemoria en mars 2013 à Mons.